Les connaissances scientifiques concernant les effets des rayonnements ionisants sur la santé, y compris sur l’enfant à naître, proviennent de sources multiples. Le suivi épidémiologique de populations exposées aux rayonnements ionisants nous éclaire sur les effets des rayonnements sur l’homme. L’étude menée sur quelque 86.500 survivants des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki à la fin de la Seconde Guerre mondiale constitue la plus grande étude épidémiologique jamais conduite sur l’homme et une source d’information inestimable. Le suivi des secouristes exposés lors ou à la suite d’un accident (comme la catastrophe de Tchernobyl) ou de patients irradiés apporte également des résultats pertinents. Enfin, les expériences menées sur des animaux et les cultures cellulaires et tissulaires en laboratoire se révèlent également une source d’information particulièrement utile (voir figure 1, (1)).
L’enfant à naître peut être exposé aux rayonnements ionisants par irradiation ou par contamination interne (voir figure 2). L’utérus constitue une protection pour le fœtus, dont l’exposition est généralement moins élevée que celle de la mère. Toutefois, lorsque celle-ci subit une contamination interne, de nombreuses substances radioactives peuvent traverser la barrière placentaire et atteindre l’enfant à naître. Les embryons et les fœtus sont particulièrement radiosensibles (1). En raison du renouvellement rapide des cellules et des mécanismes complexes de développement de l'organisme, une exposition prénatale aux rayonnements ionisants peut engendrer des effets sur la santé comme des fausses couches, des malformations congénitales, des atteintes aux fonctions cérébrales ou l'induction de cancers. Le risque dépend de plusieurs facteurs : le type d’examen, la dose de rayonnement encourue et le stade de la grossesse. Pour pouvoir évaluer le risque que représente un examen pour l’enfant, il convient de connaître le stade de la grossesse auquel survient l’exposition et la dose de rayonnement reçue par l’enfant à cette occasion.
Les effets d’une exposition aux rayonnements ionisants sur la santé, y compris ceux résultant d’une exposition prénatale, peuvent être catégorisés en deux groupes. Les effets tissulaires ou déterministes sont provoqués par la mort cellulaire radio-induite d’une quantité critique de cellules. Avant que ces effets ne puissent survenir, la dose doit dépasser un certain seuil. Lorsque ce seuil est dépassé, l’effet commence à se manifester chez la grande majorité des individus de la population exposée. En deçà de cette dose seuil, les effets ne peuvent pas apparaître (hormis chez les très rares personnes qui présentent des prédispositions génétiques spécifiques), tandis qu’au-delà de cette dose seuil, plus la dose est élevée, plus les effets sont graves.
Les effets stochastiques sont la conséquence de mutations génétiques affectant une ou plusieurs cellules (induites par la non-réparation ou le défaut de réparation de lésions de la molécule ADN). Pour ce type d’effets, il n’existe pas de dose seuil précise en dessous de laquelle le risque d’apparition est nul et la probabilité d’apparition de ces effets augmente au fur et à mesure que la dose augmente. Dès qu’un individu reçoit une certaine dose de rayonnement, le risque d’effets néfastes sur sa santé existe. La probabilité de voir ce risque se concrétiser est minime lorsque la dose est très faible, mais elle s’accroît à mesure que la dose augmente.
Figure 1, source (1)
Figure 2, source (1)
1. Stade de la grossesse
Premiers jours suivant la fécondation : la période de pré-implantation
Au tout début de la grossesse (les deux premières semaines suivant la conception), il existe surtout un risque d’avortement spontané lorsque l’embryon est exposé à une dose supérieure à un certain seuil. A ce stade, la plupart des cellules de l’embryon sont encore pluripotentes et ne se sont pas encore différenciées en un certain type de cellules spécialisées. Une cellule endommagée peut donc être facilement compensée et le développement normal peut donc se poursuivre sans problème. Toutefois, si le nombre de cellules endommagées ou détruites est trop élevé, l’embryon ne peut pas survivre, ce qui provoque un avortement spontané précoce. Cette période est généralement appelée la période du « tout ou rien ». Les expérimentations sur des rongeurs ont démontré que des doses inférieures à 100 mGy peuvent déjà être fatales durant les périodes radiosensibles du développement embryonnaire (comme le stade zygote) (2).
Hormis ce risque du « tout ou rien », certaines expositions subies au cours de cette période peuvent avoir un effet négatif sur la suite du développement de l’embryon. L’induction de malformations a été constatée sur des individus génétiquement prédisposés, irradiés lors de la période de pré-implantation. Aucune dose seuil n’a pu être déterminée sur base des cas où l’irradiation est intervenue au stade unicellulaire (zygote). Par contre, une dose seuil au-delà de laquelle des malformations apparaissent a pu être déterminée pour l’embryon exposé lorsqu’il se compose de 32 à 64 cellules (2).
Concrètement, il convient de se montrer prudent dès les premiers jours suivant la fécondation de l’ovule. Soulignons que les doses rencontrées lors d’examens de routine ponctuels en imagerie médicale restent normalement bien en-deçà des doses seuils des effets tissulaires.
De la troisième à la huitième semaine : l’organogenèse
A ce stade de la grossesse, les organes commencent à se développer, et donc le principal risque de l’exposition aux rayonnements concerne les malformations. Des expérimentations animales ont démontré que des organes (tels que les yeux, le système nerveux central et le squelette) sont particulièrement susceptibles de présenter des malformations lorsqu’ils sont irradiés à ce stade (1). Ces malformations peuvent causer une fausse-couche ou se manifester à la naissance.
L’éventuelle induction de malformations variera selon la dose reçue et le stade du développement embryonnaire ou fœtal. Généralement, on considère que des malformations ne peuvent apparaître que si l’embryon est exposé à une dose supérieure à 100 mGy. Il convient toutefois de nuancer ce constat depuis peu puisque des expériences animales ont permis d’identifier des périodes de sensibilité accrue lors du développement, comme les 7e et 8e jours suivant la conception chez les souris (1 jour plus tard chez les rats), ce qui correspond aux 16e, 17e et 18e jours suivant la fécondation chez l’homme. En ce qui concerne les malformations, les expériences animales montrent que, dans la relation dose-effet, la dose seuil varie entre 50 mGy et 250 mGy (2). De même, pour les fausses-couches, le risque est le plus élevé lorsque l’exposition aiguë intervient le 7e jour après la conception chez les souris (8e jour chez les rats), ce qui correspond au 16e jour après la fécondation chez les humains. Les expérimentations conduites sur un nombre suffisant d’animaux démontrent que des doses oscillant entre 80 et 500 mGy peuvent influer sur la survie intra-utérine (2).
A partir du 3e mois : la période foetale
A partir du troisième mois de la grossesse, le risque de l’exposition aux rayonnements ionisants concerne surtout le développement du cerveau. Ce risque est critique entre la 8e et la 15e semaine (troisième et quatrième mois). C’est à cette période que les cellules nerveuses se multiplient et prennent leur place dans le cerveau. Les fonctions du cerveau qui se mettent en place à ce stade peuvent être affectées, ce qui peut provoquer un retard mental si la dose de rayonnement est élevée.
Pour ce qui est des déficiences mentales chez les sujets humains, les meilleures estimations de la dose seuil situent celle-ci à 600 mGy pour une exposition qui intervient entre la 8e et la 16e semaine après la fécondation et à 900 mGy pour une exposition subie entre la 16e et la 25e semaine après la fécondation. (Pour les deux estimations, le seuil de fiabilité est égal à 300 mGy.) Ainsi, sur une population d’environ 1600 enfants de survivants de la bombe atomique qui, avant leur naissance, avaient été exposés à une dose d’1 Gy, on dénombre une trentaine d’enfants atteints d’un handicap mental lourd (1).
Les expositions subies à ce stade peuvent en outre se traduire par de moins bons scores de QI. Dans l’étude sur les survivants de la bombe atomique, les résultats des irradiations subies entre la 8e et la 15e semaine après la conception permettent d’obtenir une courbe dose-effet linéaire, tandis que les résultats des irradiations subies entre la 16e et la 25e semaine suivent davantage une relation linéaire quadratique. Dans le premier cas, dans le modèle linéaire pour une exposition entre la 8e et la 15e semaine, on observe une baisse de 25 points de QI (95%CI = 18-33) par Gy. Dans le second cas, lorsque l’exposition survient entre la 16e et la 25e semaine, une baisse de 21 points de QI par Gy (95%CI = 13-30) est constatée.
Durant toute la grossesse
Enfin, une exposition aux rayonnements ionisants à tout moment de la grossesse peut entraîner pour l’enfant une augmentation du risque de développer un cancer aussi bien durant l’enfance que plus tard à l’âge adulte. Ce risque s’intensifie à mesure que la dose de rayonnement encourue par le futur bébé augmente.
Ce risque de développer un cancer augmente également pour un adulte après chaque exposition qu’il subit. Il mérite toutefois une attention particulière dans le cas des embryons, des fœtus et des jeunes enfants, particulièrement radiosensibles, en raison de la rapidité du renouvellement cellulaire à ces stades. Il est généralement admis que la sensibilité à l’induction de cancer est aussi élevée pendant la vie intra-utérine qu’à la naissance, c’est-à-dire bien plus importante que pour une personne standard. (voir figure 3).
Figure 3, source (8)
2. Dose de rayonnement
Bien que l’on ne connaisse pas encore tous des effets des expositions prénatales sur la santé, on constate tout de même que de nombreux effets néfastes ne surviennent qu'au-delà d'une certaine dose. Certains effets peuvent toutefois survenir à la suite d’une exposition à de très faibles doses de rayonnements ionisants, mais la probabilité d’apparition de ces effets à ces doses-là est minime (ex. augmentation du risque de développer un cancer).
Dans la majorité des procédures de diagnostic médical, la dose de rayonnement n’augmente pas le risque de mort prénatale, de malformation ou de retard mental profond au-delà de l’incidence naturelle (3).
Le seuil en dessous duquel aucun effet n’est induit est souvent fixé à 100 mGy. En effet, les expositions à une dose inférieure à 100 mGy n’expliquent pas une interruption de grossesse sur base des risques inhérents aux rayonnements (3). Toutefois, une dose de 100 mGy ne constitue pas un seuil absolu puisque les recherches scientifiques font état d’une réalité plus nuancée qui confirme effectivement que les effets éventuels de faibles doses sur la santé ne sont pas inexistants, bien que leur sévérité soit généralement limitée et leur probabilité faible. Tout bien considéré, il est admis que sur mille bébés vivants ayant reçu une dose de 10 mGy dans l’utérus de leur mère, deux d’entre eux tout au plus en subiront des conséquences néfastes. Pour mettre ces chiffres en perspective, précisons que sur mille bébés nés par voie naturelle, 60 présentent des phénomènes similaires (1).
Il convient principalement de tenir compte de ces nuances pour des considérations relatives à la justification des expositions lors de grossesses.
Par ailleurs, une dose supérieure à 100 mGy ne signifie pas automatiquement qu’il faut privilégier une interruption de grossesse. La personne confrontée à une telle décision devra prendre en compte une multitude de facteurs, parmi lesquels les risques radiologiques (la période de l’exposition et la dose reçue par l’enfant à naître), mais également d’autres considérations telles que les convictions personnelles, la situation et la force mentale de la patiente. Il est évidemment essentiel d’informer, d’accompagner et de soutenir la patiente (et, pour autant qu’elle soit d’accord, ses proches) dans ce processus.